La dialectique hégélienne, en tant que négation de la négation, est souvent interprétée comme irrémédiablement téléologique, comme une froide mécanique qui rejette hors du sens toute contingence. Mérite-t-elle pour cela d’être abandonnée ? Si la dialectique est bien ce qui meut tout donné, montrant qu’il ne peut résider en repos en lui-même, abandonner la dialectique revient à se résigner à la factualité et à renoncer à la promesse d’émancipation, de dépassement de ce monde donné, dont la pensée hégélienne est porteuse. Il faudrait alors penser la dialectique sans la téléologie. Mais l’effort de Hegel n’est-il pas déjà de libérer autant qu’il est possible la dialectique de toute téléologie ? De fait, si l’on se tourne vers deux auteurs qui ont critiqué et profondément réformé la dialectique hégélienne – Giovanni Gentile et Theodor Adorno – on se rend compte à l’examen de leur tentative que leur volonté de sauver la totalité de la contingence et leur refus conjoint de toute perspective téléologique conduit la dialectique à, en quelque sorte, s’écrouler sur elle-même. Ces deux formes « d’auto-destruction » de la dialectique montrent ainsi par l’absurde que la téléologie minimale conservée par Hegel n’a pour fonction que de préserver la dialectique. On peut alors interpréter la dialectique plutôt comme principe de détermination que comme moteur d’une téléologie prise en son sens plein ; c’est peut-être ce que nous suggère la référence à Aristote par laquelle Hegel choisit de clore son Encyclopédie des Sciences philosophiques. La dialectique hégélienne reposerait ainsi sur une téléologie minimale au-delà de laquelle on ne peut aller sans renoncer à la dialectique elle-même.
Née en 1962, agrégée de philosophie, docteur (Paris X), HDR (Nice), enseigne en classes préparatoires au Lycée Champollion de Grenoble. A publié Guido Calogero, Laïcisme et Dialogue (Septentrion, 2007), Giovanni Gentile et la Fin de l’Auto-conscience, (Harmattan, 2009).