DU VOYAGE AU TOURISME
À une époque où l’industrie du tourisme est plus que florissante, l’auteur a jugé opportun de se pencher sur les origines du voyage en Europe, sur le Grand Tour comme sa matrice pédagogique et culturelle (de Montaigne à Gracq en passant par de Brosses, Sade, de Staël, Stendhal, Lamartine, Gautier, Larbaud, Proust et d’autres), et notamment sur l’Italie comme étape obligée, à la fois familière par son patrimoine et insolite par ses us et coutumes. Le voyage à l’étranger suscite chez le sujet itinérant la mise à l’épreuve de ses préjugés sédentaires, un ébranlement identitaire, voire un « devenir-autre », tandis que le tourisme (anglais au départ) cherche, malgré sa soif d’exotisme, à satisfaire un horizon d’attente rassurant. Et si le tourisme se nourrit de textualités en amont, tel le Baedeker, le voyage a pour vocation de produire un document en aval, le « récit de voyage » proprement dit. Les acquis de la géocritique ont été mobilisés pour étayer les analyses mais cette nouvelle discipline, qui tente de localiser les espaces auxquels réfèrent les textes, se voit cependant révoquée dès que l’imaginaire des lieux entre en jeu, toujours plus fertile que le « réalème ».
Se dégage en outre une équation entre voyager et lire, affectés tous deux par une même déprise : le voyageur/lecteur doit être « assez fou pour entreprendre un voyage en lointain pays » et larguer ses amarres. L’ouvrage pose en fin de parcours la question du dépaysement à l’heure actuelle. La découverte de l’ailleurs et de l’altérité est-elle menacée par l’ubiquité virtuelle et les flux globalisants ? Certaines pratiques inspirées par une épistémologie ambulante et nomade allant à l’encontre de la frénésie urbaine – la flânerie, la balade ou la marche – visent à réhabiliter l’égarement comme jouissance et instrument de connaissance. De sorte que l’auteur gage qu’il y aura toujours des recoins propices au dépaysement.
Nathalie Roelens, docteur en littérature comparée, est rattachée à l’Université du Luxembourg en tant que professeur de théorie littéraire et membre de l’Unité de Recherche « IPSE – Identités, Politiques, Sociétés, Espaces ». Elle a publié entre autres L’odissea di uno scrittore virtuale. Strategie narrative in Palomar di Italo Calvino (1989), Le lecteur, ce voyeur absolu (1998) et dirigé ou codirigé les recueils Jacques Derrida et l’esthétique (2000), Homo orthopedicus (2001), L’imaginaire de l’écran (2004). Ses travaux récents s’inscrivent dans le domaine de la littérature de voyage, de la géocritique et de la sémiotique urbaine.