“La philosophie a perdu son aura” déclare Wittgenstein à ses étudiants de Cambridge en 1930, au moment même où Walter Benjamin évoque la perte d’aura de l’art. Il s’est produit selon le philosophe viennois une “torsion” dans l’histoire de la philosophie, qui se trouve coïncider avec l’avènement de ces Temps Modernes auxquels il ne souscrit qu’avec résignation. La nouvelle philosophie a selon lui le même rapport avec l’ancienne que la chimie avec l’alchimie, car il existe dorénavant une méthode philosophique, un savoir faire bien délimité, et du même coup des philosophes “de métier”. Cette professionnalisation est en même temps une “réduction” : “Philosophy is now being reduced to a matter of skill”, et, ajoute-t-il avec une tonalité à la Spengler, “c’est un phénomène caractéristique d’une époque de culture déclinante ou sans culture” ; en effet “une fois la méthode trouvée, les possibilités pour la personnalité de s’exprimer sont corrélativement restreintes”.
Pourquoi Wittgenstein est-il si ambivalent sur cette philosophie désenchantée, modeste, déflationniste, des Temps modernes, qui est aussi en partie la sienne?
Plus que jamais, donc, il nous faut nous poser la question, non de l’héritage laissé par Wittgenstein – il est immense -, mais de la bonne façon, pour nous, d’en hériter.
Christiane Chauviré enseigne la philosophie de la connaissance et du langage à l’UFR de Philosophie de Paris1-Panthéon-Sorbonne. Auteur de plus d’une quinzaine de livres, elle en a publié six sur Wittgenstein (dernièrement L’immanence de l’ego, PUF, 2009), et a édité ou co-édité trois volumes sur cet auteur (Lire le Tractatus logico-philosophicus, Vrin, 2009).