Sous la responsabilité scientifique de Didier Corderot (CHEC) et Danielle Corrado (CELIS)
En janvier 1939, le photographe André Friedman, plus connu sous le nom de Robert Capa, assiste en Catalogne à l’exode républicain. À Barcelone, alors que la ville est sur le point de tomber aux mains des rebelles nationalistes, il fixe sur la pellicule de son Leica le désordre et l’improvisation d’un centre de réfugiés en transit. Un de ses clichés devenus célèbres s’attarde sur une fillette emmitouflée dans une veste d’adulte. Cette enfant, qu’on dirait perdue au milieu d’une marée humaine, rappelle à quel point la Guerre d’Espagne modifie les structures familiales en éloignant les enfants de leurs foyers, de leurs écoles ou de leurs amis. D’abord évacués de Madrid vers la région de Valence, les enfants le seront ensuite en France, en Angleterre, en Belgique, au Mexique, en Union Soviétique, en Suisse, dans les pays scandinaves ou encore en Hollande. Leur nombre est estimé à plus de 30 000.
Le gouvernement franquiste mènera alors d’intenses campagnes de propagande, surtout en direction des enfants exilés en Russie, afin d’obtenir leur rapatriement. Ceux qui ne pourront faire autrement que passer sous les fourches caudines du nouveau régime seront, dans le meilleur des cas, confiés aux soins de l’Auxilio Social [Secours Social], la structure sanitaire qui s’inspire de la Winterhilfe nazie. Au dénuement absolu des autres, condamnés parfois à errer, s’ajoutera l’opprobre d’être fils ou fille de rojo [rouge]. La Guerre d’Espagne entraîne également une mortalité infantile considérable due à la fois aux opérations militaires ainsi qu’à la sous-nutrition ou au manque d’hygiène. Les rescapés en garderont fréquemment des séquelles physiques.
Néanmoins, on se gardera de penser que les enfants de la Guerre d’Espagne n’ont été que des victimes d’un conflit qui les dépassait. Instrumentalisés par les idéologies dominantes, ils en ont parfois également été des acteurs, certes involontaires, comme en attestent les moyens mis en œuvre pour leur enrôlement, principalement dans le camp nationaliste mais qu’on aurait tort de négliger – ils sont encore mal connus – dans le camp républicain. La recherche sur la Guerre d’Espagne a trop longtemps pâti d’un regard unilatéral pour qu’on ne prenne pas la peine de mettre en garde contre une simplification historiographique.
C’est dans une perspective qui s’attache à croiser les regards, les sources ainsi que les approches méthodologiques – démarche inhérente au projet « Enfance Violence Exil » (EVE), à l’origine de ces travaux – que s’inscrivent les articles qui suivent. Ces derniers sont consacrés aux expériences et aux représentations culturelles de l’enfance pendant la Guerre d’Espagne car seul un travail de mise en regard du vécu de ces enfants – consigné sous diverses formes pendant ou après le conflit – et les représentations variées de ces mêmes enfants, en particulier celles émanant des adultes, est à même de dessiner les contours d’un des événements dramatiques du XXème siècle.