Tout a été dit sur Duras, hormis son rapport à la philosophie. Présentée comme l’écrivaine du désir, du plaisir physique et de la jouissance du soi, l’auteure d’Hiroshima mon amour est aussi perçue comme celle qui a su saisir la douleur des autres. Mais on a ignoré, de fait, les références à Diderot ou à Rousseau. Paradoxalement, Duras qui se méfie des intellectuels, en appelle souvent à la sagesse des anciens pour s’interroger sur les métamorphoses du temps et de la matière. Comprendre pourquoi l’amour se défait, puis ensuite inscrire l’histoire de la passion qui n’est plus, telle est bien pourtant la trame des romans de Duras. La créatrice de Lol.V.Stein qui a si bien décrit la dépossession de son personnage au moment de la perte de l’amour ne pouvait qu’être séduite par les pensées de Pascal et de Kierkegaard lorsqu’elles s’emparent de la description du ravissement de l’homme par Dieu. N’être plus soi-même parce que l’on est envahi par un tout autre que soi, ne plus s’appartenir pour s’approcher de l’autre ou du grand Autre constituent des moments charnières chez la romancière comme chez les philosophes.
Sans le vouloir et sans le savoir, Duras serait-elle devenue, malgré elle et à son insu, une philosophe ?
rançoise Barbé-Petit, maître de conférences à l’université de Paris VI, auteur d’une thèse sur David Hume et les articulations du discours, écrit plus spécifiquement sur la littérature et le cinéma d’un point de vue philosophique. Elle a travaillé autour du thème du pouvoir dans Richard II, Othello et King Lear. Elle se consacre à un livre intitulé : Shakespeare et la philosophie.