Aujourd’hui inconnu du public, Henri Marion (1846-1896) est avec Ferdinand Buisson l’un des philosophes les plus influents de la révolution scolaire de la IIIe République. Par ses travaux théoriques et son enseignement universitaire de « science de l’éducation », Marion se place au cœur de la rénovation pédagogique voulue par Jules Ferry. Il voit dans la cohérence des trois niveaux de l’instruction publique – primaire, secondaire, supérieur – un principe fondateur de la nouvelle école républicaine. Il se préoccupe de la manière dont l’instituteur et le professeur de lycée « font la classe », avec la conviction que les questions pédagogiques les plus modestes engagent une idée de l’humanité et de la société. Son rationalisme critique le situe au centre des controverses entre positivistes, scientistes, vitalistes et spiritualistes. Théoricien d’une « éducation libérale » fondée sur la raison, il rejette la discipline autoritaire mais soutient les pédagogies de l’effort. Henri Marion associe intimement l’éducation et l’instruction. Philosophe de la solidarité, il repère dans l’individualisme une menace pour l’éducation républicaine et met en avant la portée morale de l’instruction civique. Ses convictions républicaines et son professionnalisme lui font pressentir les dérives technicistes des méthodes pédagogiques prétendument actives et les risques d’un détournement utilitariste de l’éducation nationale. La réflexion philosophique de Marion rappelle que l’école de la IIIe République fut traversée de contradictions qui aident à comprendre les dévoiements et les enjeux de l’éducation du XXIe siècle.
Deux textes d’Henri Marion, l’un sur « la science de l’éducation », l’autre sur « la méthode active » sont reproduits.
Agrégé hors-classe et docteur en philosophie, Pierre Hayat enseigne au lycée Jules-Ferry (Paris). Spécialiste de Levinas, il est également l’auteur aux éditions Kimé d’ouvrages sur Ferdinand Buisson et la philosophie de la laïcité.