Ce qui a été n’est plus possible. Ce qui a disparu existe peut-être encore. Mais rien ne nous est plus accordé.
Dans des temps plus anciens, l’existence pouvait se soutenir, par la croyance et la prière, par la simple attente ou par la présence du mystère, d’un espoir en une grâce. Celle-ci pouvait être concédée, malgré l’ignorance dans laquelle on se trouvait de la décision divine et de son libre vouloir, ou méritée par le travail de la vertu. Rien de tout cela, de cette sanction de l’existence, de son évaluation propre, ne constitue plus le plan ou la perspective par rapport auxquels les hommes perçoivent le sens de leur vie.
Ce n’est pas qu’il n’y ait plus « la grâce », nous n’en savons strictement rien, c’est que l’idée elle-même s’est évanouie au pire dans la superstition, au mieux dans ce qui reste, chez certains, de croyance. Les créatures et le monde se sont désormais repliés sur eux-mêmes, ils ne sont plus portés, ou enveloppés dans un orbe qui en définitive sublimerait ce monde déchu.
La grâce, en somme, est désormais désaccordée. Il reste à savoir si elle est capable d’infléchir son sens originellement théologique, et si, devenue au mieux douloureusement profane, elle possède une chance de nous délivrer envers et contre tout un bonheur, celui vers lequel tend l’œuvre paradoxale de Kleist, et une « vraie vie » comme l’a désiré Proust.
André HIRT enseigne la philosophie en khâgne au Lycée Faidherbe de Lille. Il a publié aux éditions Kimé plusieurs ouvrages sur Baudelaire, Karl Kraus, Musil, Descartes et Philippe Lacoue-Labarthe. Il a publié par ailleurs des livres sur la musique et la peinture.