La bouddhisation des récits lao qui portent sur l’origine de la riziculture, ou qui racontent la fondation des dynasties, s’accompagne simultanément de l’introduction d’une dimension éthique, qui est absente dans les versions non bouddhisées, et du rôle accru qui s’y trouve accordé aux ancêtres ethniques. Ceux-ci ont pour fonction d’introduire les hommes dans l’ordre symbolique à travers un sacrifice qui fait de ces derniers leurs débiteurs, et qui les fait eux-mêmes accéder au statut de modèles identificatoires. L’éthique représentant pour le bouddhisme l’un des moyens principaux de la réalisation du salut, il n’y a rien d’étonnant à ce que l’adoption de la religion de l’Eveillé ait entraîné une moralisation des récits dont les ancêtres des Lao étaient porteurs lorsqu’ils ont quitté la Chine. Toutefois, le bouddhisme (venu de l’Inde) et le culte des ancêtres (commun à tous les peuples de l’Asie orientale) constituent deux institutions religieuses absolument distinctes, de sorte que la place éminente attribuée aux ancêtres dans les récits (comme aussi bien dans les rituels) ne va pas de soi.
Richard Pottier, professeur émérite (Université René Descartes-Faculté des Sciences Humaines et Sociales-Sorbonne) a fait des recherches anthropologiques au Laos de 1965 à 1977, d’abord dans le cadre de la Coopération française puis dans celui de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Il est l’auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels Anthropologie du Mythe (Éditions Kimé), Santé et Société au Laos (Le système de santé lao et ses possibilités de développement) (Éditions CCL) et Yu Di Mi Hèng, “être bien avoir de la force” – Essai sur les pratiques thérapeutiques lao (les Éditions de l’EFEO).