En Amérique latine comme ailleurs, la critique postcoloniale apparaît comme une condition pour le renouvellement des dialogues interculturels orientés vers la construction d’une modernité alternative, ou d’une vraie postmodernité, fondée sur une autre manière d’habiter la terre, moins dévastatrice pour la nature comme pour les humains.
Reprenant d’une manière inédite la perspective ouverte au XXe siècle par des auteurs comme José Carlos Mariátegui, Alberto Flores Galindo, Pablo González Casanova ou René Zavaleta, les études postcoloniales latino-américaines contribuent à la critique d’un modèle culturel, social et politique fondé sur le clivage traditionnel entre la « civilisation » et la «barbarie». Articulée initialement par un versant de la modernité européenne qui trouvera au XVIIIe siècle une forme systématique dans l’anthropologie des Lumières (M. Duchet), cette dichotomie a été au départ la matrice idéologique de la domination coloniale européenne, et, plus tard, de celle des nouvelles élites « républicaines » attelées à la tâche de construire l’unité sociale et politique sur la base du modèle européen de l’État-nation. Au XIXe siècle et durant une bonne partie du XXe, l’unité de la “Nation” est imaginée de telle manière qu’elle implique l’exclusion de la différence culturelle dans l’espace public. Or, depuis les quatre dernières décennies, les nouvelles formes de la mobilisation indienne et la renaissance des identités afro-américaines participent à la crise des modèles identitaires établis et au surgissement, dans divers domaines du culturel et du politique, de manières inédites d’imaginer l’identité (subjective, sociale, culturelle, nationale) et d’assumer la diversité culturelle (inter-culturalité, multiculturalismes, indianisation) dans la sphère publique. Le présent ouvrage propose un aperçu des problématiques, recherches et discussions actuelles sur le postcolonial en Amérique latine, en prenant comme fil conducteur les processus de reconfiguration identitaire liés à l’ « émergence indienne » et au renouveau actuel des identités afro-américaines.
Alfredo Gomez-Muller est professeur d’Études Latino-américaines et de Philosophie à l’Université François-Rabelais de Tours, et membre des équipes de recherche Interactions Culturelles et Discursives (ICD, Tours) et Théorie Politique Contemporaine (TEOPOCO, Universidad Nacional de Colombia). Parmi ses ouvrages : Anarquismo y anarcosindicalismo en América Latina ; La Reconstrucción de Colombia ; Sartre, de la nausée à l’engagement ; Éthique, coexistence et sens ; Alteridad y ética desde el descubrimiento de América.