Proust partage avec certains artistes de son temps ce rêve de réhabiliter quelque chose de détruit, de dévalorisé, pour le modifier, dans l’idée de réparation, de régénération et d’invention. Il revendique une forme de résistance contre une pensée rationnelle et une langue qui ne serait plus qu’abstraite. Pour lui, seule la nature nous mène à la vérité à travers ce bruit, cette forme rayonnante qui s’échappe des êtres et qu’il appelle l’essence individuelle des choses.
En pénétrant cette qualité perdue, le monde nu, primitif, des origines où tout est pris ensemble dans la complexité vivante de l’impression, l’écrivain lui rend sa prérogative contre la langue. L’infamie infligée au vivant conduit au désamour et à la dématérialisation du monde. Alors comment traduire la vie de manière vraie et vivante ?
À partir de l’idée, sans cesse réaffirmée par Proust, que vrai égale vivant, Christine Brusson explore la singularité de l’écrivain, confronte sa quête littéraire à l’avant-garde artistique, analyse la crise ruskinienne.
Le réalisme faisait de la réalité une traduction homogène répondant aux conventions d’une époque. Proust revendique une autre façon de voir, étonnamment proche de certains penseurs de l’écologie. Il nous fait entrer dans la structure même de la vie à travers une transe, une participation. Les univers s’ouvrent dans une porosité fascinante.
Dans Proust, contre-enquête, Classiques Garnier, 2018, et Proust, voir l’invisible, Kimé, 2023, Christine Brusson interrogeait la profonde étrangeté de l’écrivain en explorant plusieurs pistes inédites : le trauma et les traits autistiques, la voyance. Elle clôt ici sa contre-enquête en posant l’équivalence, à la fois simple et énigmatique, du vrai comme vivant.