Cet ouvrage, publié en 1990, puis en 1999, sous un titre un peu différent et chez un autre éditeur, a été l’objet d’un travail de révision, il tient compte des découvertes stendhaliennes les plus récentes ; elles concernent la période impériale, le travail de l’auditeur au Conseil d’État est maintenant mieux cerné, et la période consulaire, dont un aspect capital a été négligé : le malheur profond de Stendhal, victime sans doute de la malveillance et de la bêtise de la Monarchie de Juillet. Cette nouvelle version s’efforce aussi de tenir compte avec plus de cohérence du principe héroïque qui soutient la vie même de Stendhal. “La vie d’un homme est son image”, a dit Gide en 1892, “l’écrivain doit non pas raconter sa vie telle qu’il l’a vécue, mais la vivre telle qu’il la racontera” ; sa vie est “le portrait idéal qu’il souhaite”. Stendhal a-t-il jamais pu lui-même faire le récit de sa vie sans la romancer, sans l’élever à un certain niveau de tension romanesque ? Il faut bien admettre que sa vie doit être considérée comme son premier roman. Romancier au nom d’un romanesque premier, spontané, il est son premier personnage de roman, il invente des personnages conformes à son désir. Que veut-il ? Être soi, l’Unique soi-même, l’homme différent qui fonde l’héroïsme proprement moderne de la particularité absolue et du Moi pur : à la fois public et visible et déjà légendaire de son vivant, et caché par ses multiples visages, ses rôles variés à l’infini, ses réincarnations qui ont fait de lui une énigme. Qu’est-il encore, sinon l’homme du désir, l’éternel amant, son existence et son œuvre sont une immense et continuelle déclaration d’amour ; et toutes celles ou presque qui ont été faites par cet homme dont l’Éros a fait le destin et l’inspiration, furent ratées.
Michel Crouzet, professeur émérite à l’Université de Paris Sorbonne a beaucoup publié sur Stendhal et d’autres écrivains du XIXe siècle.