Balzac ? Romancier « franchement détestable », pour Brunetière, « l’un des pires écrivains qui aient jamais tourmenté la langue française ». Un auteur « respectueux en théorie des règles de la grammaire », mais « en pratique l’un des plus méchants écrivains non seulement de l’époque, mais du siècle », pour la Sorbonne de 1948. En face, les quelques défenseurs de l’auteur de La Comédie humaine n’ont jamais été bien à l’aise dans leurs répliques. Du fidèle Gautier, qui rappelait que son ami, si travailleur et si plein de bonne volonté, se plaignait sans cesse « de l’énorme difficulté de la langue française ». À Taine : « Cet homme, quoi qu’on ait dit et quoi qu’il ait fait, savait sa langue. Même, il la savait aussi bien que personne. Seulement, il l’employait à sa façon ». Entre véhémence malveillante et résignation désabusée, la condamnation de la langue, et donc du style, de Balzac fut ainsi le lieu commun de la critique du XIXe siècle comme des études universitaires du XXe siècle.
Le présent volume souhaite faire le point sur les connaissances et expériences de Balzac lui-même en matière de grammaire et de langue, sur son sentiment linguistique et poétique, tels que l’on peut les saisir et les comprendre à travers ses déclarations mais surtout dans ses pratiques d’écriture. La langue balzacienne, cet ensemble composite qui intègre aussi bien la prose romanesque la plus polyphonique que des alexandrins de convention ou encore un idiome drolatique de fantaisie, ne peut s’appréhender au XXIe siècle autrement que dans une pensée génétique du texte qui est une stylistique de la création.
Éric Bordas est professeur de stylistique à l’École Normale Supérieure de Lyon et membre de l’UMR 5317