À partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, la modernité critique a imposé dans le champ esthétique une série de réorientations, qui nous conduisent aujourd’hui à associer la littérature à des notions comme l’impersonnalité, le culte de la Forme, le pessimisme, la négativité, ou encore l’indifférence voire le mépris vis-à-vis du lecteur. La doxa moderniste nous enseigne que la littérature sert à faire admirer tout à la fois le langage, la littérature elle-même et l’écrivain, et qu’il était illusoire et sacrilège d’imaginer qu’elle pouvait être « utile », c’est-à-dire contribuer à l’amélioration du sort de l’humanité, ou à la guérison de ses maux.
Mais comment se fait-il qu’à partir de Flaubert, certains auteurs se sont ainsi avisés de remettre en question les missions traditionnellement dévolues à la littérature ? La critique, curieusement, ne s’est jamais demandé pourquoi cette « révolution copernicienne » est intervenue au XIXe siècle et pourquoi il n’y eut pas de Roland Barthes au XVIIe ou au XVIIIe siècle. La modernité serait-elle à regarder comme un phénomène historique et contingent ? On s’emploiera ici à répondre à cette interrogation. D’autre part, il est devenu courant, de nos jours, de lire des déclarations assurant que la littérature tend vers sa disparition. Mais le monde peut-il se passer de littérature ? Et est-ce que ce ne sont pas, précisément, les penseurs de ladite modernité – de Flaubert à Roland Barthes – qui ont mis la littérature en danger ?
Le présent ouvrage s’attache à expliquer l’avènement de la doxa moderniste, à en faire le bilan – en la suivant jusque dans ses errements critiques – et enfin à déterminer dans quelle mesure il serait, ou non, souhaitable de réhabiliter les valeurs dont elle a appelé à se débarrasser.
Maître de recherches à l’université de Namur (Belgique), auteur d’une quarantaine d’ouvrages, Michel Brix est spécialiste de la littérature française du XIXe siècle. Une partie significative de ses travaux porte sur Nerval, Sainte-Beuve et le romantisme. Il s’est également intéressé à l’émergence de la modernité critique qui – sous l’impulsion de Flaubert – a mis un terme à l’« Ancien Régime » littéraire.