Le poids de la tradition classique a longtemps verrouillé la réflexion sur la laideur. Par delà les trois sphères de sensibilité qu’elle affecte (celle du corps, de l’intelligence, et de la moralité), la proximité du laid est ressentie, dans une sorte d’angoisse métaphysique, comme une sorte d’atteinte à la dignité et à l’identité de notre être. Dans sa présence agressive, la laideur ne serait-elle pas la figure hideuse de ce tout-Autre qui menace d’ébranler notre être ?
Mais, par sa fascination même, la laideur se propose à l’artiste comme un défi à relever : il ne se borne pas à la dénoncer ; il entend la domestiquer, la transfigurer. En nous offrant de » belles laideurs « , l’art nous révèle sa vocation rédemptrice, dont la stratégie et les dispositifs méritent d’être explorés.
La question de la laideur dans ses rapports à l’art est double : c’est celle de la laideur dans l’œuvre et celle de la laideur de l’œuvre. Mais peut-on déterminer avec assurance les critères du jugement de goût ou de dégoût porté sur une œuvre ?
Ancien élève de l’E.N.S. de Saint-Cloud, agrégé de philosophie, Michel Ribon a enseigné la philosophie à Aix-en-Provence, puis au lycée français et à la faculté française de Beyrouth. Ancien résistant et déporté, il a publié Le Passage à niveau (Ed. Alain Moreau, 1972), L’Art et la nature (Ed Hatier, 1988), L’Art et l’or du temps (Ed. Kimé, 1997).